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Afrique du Sud : la perplexité des autorités après l’arrivée de centaines de Gazaouis

Cet article vous est proposé dans le cadre d’un partenariat entre le New York Times et Jeune AfriqueIl a été initialement publié ici.

Au téléphone, l’homme dit travailler pour une organisation humanitaire capable d’organiser un vol pour permettre à Ahmed Shehada et à sa famille de quitter la bande de Gaza ravagée par la guerre, contre 1 600 dollars par personne sur un compte crypto. Il exige que le paiement soit fait à l’avance.

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Redoutant une arnaque, Shehada a refusé avant d’appeler un de ses amis qui a réussi à partir grâce au même réseau. C’est à ce moment-là qu’il a décidé de tenter sa chance.

Ce choix a entraîné Shehada, 37 ans, sa femme et leurs deux jeunes enfants dans un périple de vingt-quatre heures, marqué par l’anxiété : deux convois de bus séparés, des checkpoints israéliens compliqués à passer, un vol à la destination inconnue et finalement, l’Afrique du Sud — un pays où il n’avait jamais mis les pieds. « La situation à Gaza est tellement épouvantable qu’on était prêt à prendre un tel risque », confie-t-il.

Quel rôle a joué Israël ?

Médecin de profession, Ahmed Shehada est arrivé en Afrique du Sud le mois dernier, parmi des centaines de Palestiniens qui ont atterri dans le pays à bord de deux vols – des voyages dont les modalités ont été jugées suspectes par le gouvernement sud-africain.

Les vols ont été organisés par Al-Majd Europe, une organisation presque invisible publiquement, et dont les autorités sud-africaines disent ne presque rien savoir. Mais ce 17 novembre, le ministre des Affaires étrangères, Ronald Lamola, a suggéré qu’Israël se trouvait derrière ce qu’il décrit comme « un agenda clair visant à expulser les Palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie » — une accusation rejetée par Tel-Aviv.

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« Il semble bien qu’ils aient été poussés dehors », a pour sa part déclaré le président Cyril Ramaphosa, ajoutant que son gouvernement avait le devoir d’accueillir les Palestiniens, « un cas particulier, un peuple que notre pays a toujours soutenu ». L’armée israélienne a indiqué avoir obtenu l’autorisation d’un pays tiers pour y envoyer des familles palestiniennes, sans préciser lequel.

L’attention portée à ces vols, et à la manière dont l’Afrique du Sud les a gérés, intervient alors que le pays se prépare à une semaine diplomatique majeure : il accueille le premier sommet du G20 organisé sur le sol africain.

Pretoria, soutien de la cause palestinienne

Les autorités sud-africaines, connues pour leur soutien constant à la cause palestinienne, ont été critiquées par des militants locaux qui estiment qu’elles ont mal géré l’arrivée, la semaine dernière, du second avion, qui transportait 153 Palestiniens laissés à bord pendant au moins dix heures en attendant la régularisation de leur statut migratoire.

« Les autorités frontalières n’ont pas voulu prendre en considération le fait que ces personnes arrivaient de Gaza, en pleine crise humanitaire, explique Na’eem Jeenah, un militant ayant assisté les arrivants. Leur approche était beaucoup trop étroite. »

Shehada, qui travaille pour une agence de l’ONU depuis 2014, raconte que lorsque son vol a atterri le 28 octobre, les passagers ont été autorisés à débarquer et à passer l’immigration comme n’importe quel voyageur international. Il explique que sa famille a été déplacée douze fois au cours de la guerre. Il a recontacté Al-Majd en mars, a rempli un formulaire en ligne et, en avril, a été rappelé par un représentant de l’organisation.

Lorsqu’il a finalement décidé de quitter Gaza des mois plus tard, Shehada a versé 6 400 dollars avant de recevoir un appel, peu avant minuit le 26 octobre : sa famille devait se rendre à Khan Younès dans les quatre heures.

Une fois dans le bus, on leur a demandé de baisser les stores et de ne plus utiliser leurs téléphones avant d’atteindre Rafah. Al-Majd les avaient briefés : s’ils étaient interrogés, ils devaient dire qu’ils participaient à une évacuation de l’ambassade de France. « Nous nous sommes dit : ‘Et s’ils n’ont aucun lien avec l’armée israélienne ? Et si, en entrant à Rafah, ils se mettent à tirer sur les bus ?’ »

Arrivés au poste-frontière de Kerem Shalom, des soldats israéliens leur ont ordonné de laisser toutes leurs affaires derrière eux. Après plusieurs contrôles de sécurité, ils sont montés dans de nouveaux bus les conduisant cette fois à l’aéroport de Ramon, dans le sud d’Israël, pour embarquer sur un vol charter. Ce n’est qu’une fois en vol qu’on les informa que leur destination était Nairobi, au Kenya.

« Nous ne savions même pas où nous allions »

De là, ils ont embarqué pour l’Afrique du Sud. À son arrivée, Ahmed Shehada dit avoir reçu un dernier message d’Al-Majd l’informant qu’une maison d’hôtes avait été réservée pour sa famille — pour une semaine seulement malgré la promesse initiale d’un mois.

Un message publié le 17 novembre sur le site d’Al-Majd affirmait que l’organisation fonctionnait normalement, qu’elle poursuivait ses services et mettait en garde contre des escroqueries en ligne utilisant son nom. Les appels et messages envoyés aux numéros indiqués sont restés sans réponse.

Luay Abu Saif, lui, se trouvait dans le vol arrivé la semaine dernière. Lui aussi affirme qu’Al-Majd les a tenus dans l’ignorance concernant leur destination finale. « Nous ne savions même pas où nous allions. »

Grâce à une organisation d’aide locale ayant offert un hébergement au groupe entier, ils ont finalement été autorisés à entrer dans le pays bénéficiant d’une exemption de visa de 90 jours accordée par l’Afrique du Sud aux Palestiniens.

Ce qui frappe le plus Shehada, c’est la façon dont sa fille de quatre ans semble découvrir un monde qu’elle n’a jamais connu : celui de la paix. Elle s’émerveille de pouvoir entrer dans un magasin pour acheter de la nourriture ou simplement brancher un téléphone dans une prise — des gestes qu’elle n’avait vus qu’à travers des vidéos en ligne. « L’autre jour, elle m’a dit : ‘Papa, on vit comme sur YouTube !’ »

Par John Eligon and Zimasa Matiwane

© 2025 The New York Times Company

Article écrit publié en premier sur JeuneAfrique.Com

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