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Bénin : qui est Calixte Biah, l’historien qui a raccompagné les trésors pillés ?

Le conservateur du musée d’Histoire de Ouidah est l’un de ceux qui a préparé et supervisé la restitution, en novembre 2021, des vingt-six œuvres pillées par les troupes coloniales françaises dans les palais royaux d’Abomey en 1892. Parcours d’un passionné, à l’occasion de l’exposition « Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui, de la Restitution à la Révélation : Trésors royaux et Art contemporain du Bénin » qui se tiendra du 20 février au 22 mai 2022 au palais de la Marina à Cotonou.

Le professeur Bertin Calixte Biah, le conservateur du musée d’Histoire de Ouidah, semble encore exténué. Pendant des semaines, il a été l’homme-orchestre, plutôt taiseux, chargé à Paris – avec Abdoulaye Imorou, le gestionnaire du site des palais royaux d’Abomey, et leurs alter ego français –, de répertorier, puis d’organiser l’emballage méticuleux des trésors royaux restitués par la France au Bénin. Il a ensuite supervisé et accompagné leur transfert depuis le musée du Quai Branly, à Paris, jusqu’au palais de la Marina, à Cotonou, le 9 novembre dernier. « J’ai été très honoré d’être celui désigné par le président Talon pour rentrer au pays avec les œuvres dans l’avion-cargo, reconnaît Calixte Biah. « Avant le départ, le président Macron m’a dit : “Êtes-vous prêt ?” Je lui ai répondu que oui, même si c’était une grande responsabilité… ! Et il y avait un monde fou à l’aéroport et à la présidence. Mais nous n’avons pas failli dans notre mission. C’est une grande fierté. « 

Une humilité toute jésuitique 

Dans son petit bureau provisoire tout en bois de la maison du Brésil, à Ouidah – en attendant de retrouver le sien toujours en travaux au musée d’Histoire, futur musée international de la mémoire et de l’esclavage (Mime) –, « le simple cadre technique », comme il aime à se qualifier, a un petit côté maître d’école.  

Il n’a pas été choisi par hasard. Il connaît l’importance de la charge émotionnelle et sacrée de telles œuvres

Né au lendemain de l’indépendance, en 1962, à Sokponta, dans le département des Collines, Calixte Biah évolue dans un milieu catholique modeste mais cultivé, où règne la tolérance religieuse. Éduqué entre la tradition vaudou et le catéchisme du mercredi, il va à la messe tous les dimanches, tout en fréquentant discrètement les couvents. « J’ai été baigné dans la littérature coloniale autant que dans les contes africains susurrés au clair de lune, dit-il. Mes grands-parents maternels me racontaient les rois d’Abomey, la traite négrière, l’esclavage. La fin de la colonisation avait suscité beaucoup d’espoir chez nous. Selon ma tante, c’était la fin de toutes sortes d’humiliations. » 

Calixte Biah suit une scolarité normale : collège et lycée à Cotonou, bac littéraire-philo, puis inscription au département histoire et archéologie de l’université de Calavi, où il obtient une licence en histoire-géographie doublée d’une maîtrise de philosophie. « J’ai hérité d’un solide bagage et compris très tôt que les chercheurs occidentaux avaient toujours nié l’existence de l’histoire orale. »

De cette époque, il garde profondément ancré en lui une certaine pudeur, une humilité toute jésuitique et, surtout, le sens du secret et du sacré. « À l’université, il y avait trois enseignants archéologues et l’on organisait des fouilles ponctuelles. Mais c’était très compliqué, car au Bénin, on n’aime pas ceux qui remuent la terre. On a horreur de ceux qui creusent un peu partout : en creusant, on peut tomber sur des secrets, des choses protégées. L’idée de la profanation était forte. »

Au Bénin, on a horreur de ceux qui remuent la terre. En creusant, on peut tomber sur des secrets

En 2001, Calixte Biah soutient son mémoire : Problématiques historiques et musées en République du Bénin : de Porto Novo, Ouidah et Abomey, qui sera déterminant pour la suite de son parcours. Dix ans plus tard, il abandonne sa carrière d’enseignant pour devenir responsable du service de la promotion des musées et de l’action éducative à la direction du ministère du Tourisme, de la Culture et des Arts. En 2015, il est nommé conservateur du musée d’histoire de Ouidah, installé dans l’ancien fort portugais.  

En humble passeur de témoin, le professeur Biah n’a cependant rien perdu de son sens inné de la pédagogie. « J’ai commencé ma carrière en tant qu’enseignant d’histoire-géographie. C’est un métier passionnant que de transmettre ce que l’on a appris. C’est d’ailleurs pourquoi j’enseigne toujours à l’université de Calavi la gestion du musée, l’animation et le guidage. » Avant les travaux de rénovation, le conservateur accueillait parfois lui-même les groupes d’enfants venus voir les différentes expositions.  

Cérémonie de réception des trésors royaux d’Abomey au palais présidentiel de Cotonou le 10 novembre 2021. © Valentin Salako/AID

La confiance absolue de Talon 

Depuis le début du processus de restitution des 26 pièces pillées par le colonel Dodds dans les palais royaux d’Abomey en 1892, Calixte Biah a la confiance absolue du président Patrice Talon, avec lequel il a d’abord fait avancer le projet dans le plus grand secret. C’est une opération de reconstruction de la mémoire « symbolique du retour au Bénin de notre âme, de notre identité  », selon les mots du chef de l’État béninois lors de la retransmission en direct par la télévision nationale de la cérémonie de retour, le 10 novembre dernier.  

Le conservateur du musée de Ouidah n’a pas été choisi par hasard : outre sa parfaite maîtrise de l’histoire du royaume d’Abomey, il connaît l’importance de la charge émotionnelle et sacrée de telles œuvres.  

C’est un événement majeur pour les Béninois ! Ils veulent connaître leur histoire

À la réouverture du musée, Calixte Biah sera bien là pour accueillir les 26 trésors royaux. Exposés du 20 février au 22 mai 2022 au palais présidentiel de la Marina, à Cotonou, ils seront en effet temporairement présentés au musée de Ouidah, avant de rejoindre la collection permanente du musée d’histoire d’Abomey. « C’est un événement majeur pour les Béninois ! Cela nous réconcilie avec notre passé. Et les Béninois veulent connaître leur histoire. Pour ma part, je n’ai jamais connu chez moi un quelconque sentiment de revanche envers les Français, tient à ajouter l’historien. Mes parents disaient qu’un tel sentiment était un poison pour soi-même. D’ailleurs, il y a au Bénin un mélange socio-culturel qui fonctionne bien… Le racisme, je l’ai surtout découvert dans les livres. » Calixte Biah ressemble ainsi un peu au héros de son roman préféré, Un piège sans fin (1960, Présence Africaine), d’Olympe Bhêly-Quenum. L’histoire d’un garçon qui coule une enfance simple et heureuse, mais se réveille un jour en s’apercevant que le monde peut être mauvais.  

Article écrit publié en premier sur JeuneAfrique.Com

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