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« Nous proposons, à cor et à cri, une couverture sanitaire et sociale, populaire et universelle au Bénin… »

« Faudrait-il encore ressasser, une fois de plus, que le système que nous proposons est à l'abri de tout déficit éven­tuel ? A l'abri de toute faillite ? Le capital social se renouvelant et se renforçant sans discontinuer. Au demeurant, il n'implique en rien l'Etat financièrement par­Iant ; il ne relève pas du budget national et ne requiert aucune subvention. Alors, pourquoi l'Etat se cramponne-t-il à un système vieillot et injuste fondé sur le travail et les primes indivi­duelles, qui a montré ses limites ? » Dixit l’ambassadeur Candide AHOUANSOU dans sa tribune libre que Bénin Révélé Mag vous propose en intégralité. Il insiste sur le rôle du Conseil économique et social. Diaspora et nouvelle conscience.  

Candide AHOUANSOU : « Nous proposons, à cor et à cri, une couverture sanitaire et sociale, populaire et universelle… »
Candide Ahouansou, Ambassadeur

En rencontrant les Béninois installés en France, le chef de l’Etat a visé essentiellement à leur exposer les grandes lignes de son programme d’ac­tions ainsi que les différentes mesures qu’a prises le gouvernement depuis l’avènement du Nouveau départ. L’occasion nous est ainsi offerte de mener la réflexion sur la situation de la diaspora en Hexagone; et c’est à cette fin que nous impliquons d’entrée de jeu le Conseil économique et social (Ces) à la lumière d’une nouvelle prise de conscience des choses.

Une diaspora jusqu’alors réservoir de soutien poli­tique. Les élections, no­tamment la présidentielle, ont toujours donné lieu à la sollici­tude des citoyens à l’étranger dans les pays de résidence où des bureaux de vote ont été ins­tallés. Le chef de l’Etat en fonc­tion s’adjugeait alors les moyens de dépêcher des émissaires pour aller battre campagne en sa faveur près la diaspora. Le jeu valait la chandelle si tant était que les suffrages de la diaspora pouvaient faire la différence et changer la donne en impactant les résultats des élections.

Il faut dire qu’abstraction faite de la recherche d’une clientèle électo­rale ponctuelle et de son soutien politique, les autorités en place de naguère, ne se préoccupaient pas outre mesure de la diaspora. Nous situons la séance de travail du chef de l’Etat avec la diaspora en France dans le cadre d’une mutation de l’exclusif soutien politique vers l’intérêt pour la conduite des affaires du pays. Il s’était agi, en effet, d’exposer aux concitoyens, le programme d’action du Gouvernement puis de les informer des actions me­nées jusqu’alors.

Mais à quel volet s’étaient-ils montrés le plus réceptifs? Il est convenant de saluer, en prélude, la bonne facture de la rencontre, la clarté et la haute qualité des exposés et, de manière discursive, l’ex­cellent effet de communication ainsi généré; nous ne pouvons qu’en tirer fierté de notre ministre des Affaires étrangères, mais aussi de notre ambassadeur près la République française. A tout seigneur tout honneur donc.

A cela près, nous estimons, en nous fiant à l’applaudimètre et sauf erreur d’appréciation de notre part, que l’auditoire avait montré de l’intérêt plutôt pour les différentes actions menées jusqu’alors par le gouvernement telles la répression des fraudes et les économies réalisées subsé­quemment; les résultats des au­dits notamment de la Fonction pu­blique, la gestion des bourses uni­versitaires de même que les inno­vations dans le domaine foncier.

Par contre, le programme d’action du gouvernement n’avait pas paru enthousiasmer particulièrement les concitoyens si ce n’était les informations qu’il leur avait ap­portées. Et comment pouvait-il en être autrement; ils n’ont pas les ressources pour y contribuer. En fin de compte, c’est le côté infor­matif de la rencontre qui a prévalu et non pas celui de la contribution au développement.

En tout état de cause, il est évident que ce n’était pas auprès de la diaspora que le chef de l’Etat était allé chercher des appuis financiers pour la réalisation de son pro­gramme d’action. Les couacs de la diplomatie ne lui ont pas permis de s’adresser à ceux qu’il fallait.

Communication de masse

Il avait été dit au cours de la conférence que le gouvernement faisait plus de social que l’on ne pensait et que le social qu’il faisait était « structurant ». Que le gouvernement fasse ce qu’il peut dans le domaine social, nous n’en disconvenons point. Mais, dans notre entendement, le social n’est pas chose à planifier à l’instar du développement. Le social, ce n’est pas pour demain ; c’est d’abord pour maintenant tout en posant des jalons pour pérenniser le « maintenant ».

Il n’est pas concevable que l’on laisse les populations dans la misère aujourd’hui sous le pré­texte que l’on prend des mesures « structurantes » pour que de­main d’autres ne meurent plus de la même misère. Les deux stratégies devraient être conco­mitantes et aller de pair pour répondre au social. De même, l’action sociale n’est pas struc­turellement du développement, de même le développement n’est pas forcément du social.

A regarder les choses de plus près, créer des cantines scolaires ne nous parait pas relever du social, mais plutôt du développe­ment nonobstant les apparences. Les cantines procèdent, en effet, d’une politique d’accès et de maintien des élèves à l’école; elles visent à corriger les faibles taux de scolarisation. La finalité de cette politique, c’est alors la formation efficiente des enfants, c’est la préparation de la relève pour assurer le développement.

Cela n’est donc pas du social d’autant que les cantines ne fonctionnent pas tout au long de l’année civile et qu’elles n’intéressent que les enfants du niveau primaire; leur effet est donc limité ne serait-ce qu’à ce double titre et il ne permet pas de les classer dans le social à proprement parler. On ne fait pas une politique sociale par intermit­tence.

Il demeure, néanmoins, que l’action du gouvernement dans ce cadre des cantines sco­laires mérite d’être saluée. Une enveloppe de 27,2 milliards de nos francs par an, intégralement financés par le budget national sur une période de quatre ans! Et il est heureux que la gestion en ait été confiée à une organi­sation aussi expérimentée que le Programme alimentaire mondial.

Le Ces interpellé

Tout bien considéré, la consti­tution de la diaspora en France ne peut faire l’objet de grande fierté. Nonobstant les motivations personnelles qu’il convient de respecter, car elles peuvent être nobles, l’on peut se demander pourquoi tant de nos concitoyens se retrouvent là-bas. Provenant d’un pays chaud mais grelotant, emmitouflés et engoncés dans des vêtements qui ne sont pas les leurs pour parer le froid, pri­vés d’espace pour s’exprimer li­brement, rasant les murs et tirant le diable par la queue des fois, ils sont là-bas pourtant.

Et pour cause; ils y trouvent la sécurité de vie. Quand ils sont malades ils ne pleurent les dépenses ni pour se faire diagnostiquer le mal qui les perturbe ni pour se rendre chez le pharmacien. Ils sont là-bas parce qu’ils bénéfi­cient d’une couverture sanitaire et sociale conséquente. Ils y demeurent parce qu’ils sont as­surés que dans leurs vieux jours, ils bénéficieront d’une pension de retraite et, le cas échéant, d’un minimum vieillesse qui leur permettront de vivre dignement.

Est-ce fierté d’admettre que c’est essentiellement en raison du fait que nos autorités dirigeantes n’ont jamais, depuis plus d’un demi-siècle d’exercice du pouvoir d’Etat, réussi à offrir ces avan­tages aux citoyens de l’intérieur? Les autorités dirigeantes, mais aussi et sauf déficit d’information de notre part, le Conseil écono­mique et social (Ces) qui a pour rôle de faire au Chef de l’Etat des propositions à caractère écono­mique et social pour améliorer le quotidien du citoyen.

Pour une couverture sanitaire et sociale

L’on pourrait répliquer, à juste titre il est vrai, que si nos conci­toyens de la diaspora bénéfi­cient de tous ces avantages, c’est parce qu’ils travaillent et qu’ils paient à la sécurité so­ciale, des primes prélevées à la source, qui plus est, renforcées par la part patronale. Mais, c’est précisément en raison du fait que tout le monde ne peut trouver du travail chez nous, que nous proposons, à cor et à cri, une couverture sanitaire et sociale, populaire et universelle fondée non pas sur le travail de tout un chacun et les salaires, mais sur le principe de la solida­rité nationale par le biais de la levée d’une taxe-cotisation d’un montant minime passant ina­perçu, sur un ou deux produits de grande consommation.

Une taxe-justice qui mettra tout le monde, toutes classes sociales confondues, au même niveau de protection sanitaire et sociale. Que nous ayons une activité professionnelle ou non, nous tous consommons dès notre naissance. Faudrait-il encore ressasser, une fois de plus, que le système que nous proposons est à l’abri de tout déficit éven­tuel ? A l’abri de toute faillite ? Le capital social se renouvelant et se renforçant sans discontinuer.

Au demeurant, il n’implique en rien l’Etat financièrement par­Iant ; il ne relève pas du budget national et ne requiert aucune subvention. Alors, pourquoi l’Etat se cramponne-t-il à un système vieillot et injuste fondé sur le travail et les primes indivi­duelles, qui a montré ses limites ?

Pourquoi l’Etat ne veut-il donc pas permettre à la société de prendre sa destinée en main dans un large mouvement de so­lidarité nationale salutaire pour tous, d’autant que les autorités qui se sont succédé jusqu’alors n’ont pas été à même d’innover en la matière et de protection de l’ensemble des citoyens ? Est­-ce tout simplement parce que ce système n’intéresse guère les plus fortunés d’entre nous qui, eux, n’en ont que faire et n’ont cure de cette protection populaire? Qu’est-ce alors?

Au demeurant, gageons qu’avec ce système de protection, bon nombre de compatriotes de la diaspora retrouveront le che­min du retour avec, dans leurs bagages, les expériences qu’ils auront acquises outre-mer. Pourquoi donc le Conseil éco­nomique et social ne pourrait-il pas s’y intéresser et en saisir le chef de l’Etat, comme il est de ses devoirs?

Nouvelle conscience et exode des cerveaux

Il est un fait que les plus nantis de la nation vident systématiquement le pays des forces vives que sont les enfants et les jeunes censés assurer la relève. Au demeurant, l’on se félicite béatement de les envoyer à Paris, pour y faire leurs études en sachant pertinemment qu’ils ne reviendront jamais ou même en les encourageant à ne plus revenir.

Et c’est ainsi que nous détruisons nous-mêmes notre pays méthodiquement et par anticipation. Le temps jadis, les enfants revenaient tout fiers, imbus de l’idée qu’ils se devaient de participer au décollage de leur pays sans même se soucier de ce que sera leur condition de vie dans la mère patrie. Il me souvient clairement que le jour de mon départ pour la France où il m’envoya poursuivre mes études, mon père alors Mi­nistre de la République et grand adepte de la transmission du savoir, me réveilla à l’aube et parmi ses derniers conseils me dit d’un ton grave et les larmes aux yeux : « Tu connais l’histoire de la jarre trouée de Guezo. Fi­gure toi que si tous les enfants qui partent en France revenaient au pays ; qu’ils mettaient tout leur savoir dans la jarre et qu’ils en bouchaient les trous avec leurs doigts, le développement de notre pays sera assuré. Je t’envoie là-bas pour que tu reviennes. » Cette histoire n’a eu de cesse de résonner dans ma tête tout au long de mon séjour il l’étranger jusqu’à ce que je ne m’en départisse qu’une fois que je pris fonction au ministère des Affaires étrangères de mon pays.

Aujourd’hui, la donne a changé. Les enfants ne reviennent plus. Notamment en raison des avantages sociaux dont ils bénéficient là-bas et dont nous avons fait état ci-dessus. Ils s’en vont grossir les rangs de la diaspora et tout le monde s’en contrefiche s’étant fait, malen­contreusement, à la situation. C’est ainsi que nous programmons, en amont, l’exode des cerveaux, la saignée de nos po­tentialités et de nos ressources intellectuelles. Que diantre !

Pas de nouveau départ sans une nouvelle conscience !

Comment pouvons-nous affec­ter de faire du développement sérieux dans ces conditions et avec ce handicap-là ? Il est temps, qu’en la matière, nous nous remettions en cause, à commencer par les autorités politiques elles-mêmes qui sont bien loin de nous donner le bon exemple, et qui devraient, par contre, chercher à installer chez nous, dans toute la mesure du possible, ce qui retient les concitoyens à l’extérieur.

En ces moments d’un nou­veau départ par une nouvelle conscience où il nous revient de revisiter nos comportements. En ces jours où les jeunes tirent la sonnette d’alarme et sonnent, tous azimuts, le tocsin du sursaut patriotique, notamment sur les réseaux sociaux, il nous revient de prêter l’oreille à ce qu’ils nous disent et, entre autres, d’inventer des mesures idoines suscep­tibles de les inciter à revenir au pays. Non pas en s’attendant à in­tégrer la Fonction publique, mais pour y réaliser leurs projets. Le nouveau départ, c’est aussi cela et il n’y a pas de nouveau départ sans une nouvelle conscience. L’attelage me paraît incontour­nable.

Par Candide AHOUANSOU, Ambassadeur

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