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Patrice Talon : « Les rancœurs les plus légitimes ne doivent pas nous enchaîner au passé »

À l’occasion du vernissage de l’exposition « Révélation ! Art contemporain du Bénin » à la Fondation Clément, le président béninois, Patrice Talon, s’est déplacé en Martinique du 13 au 17 décembre. C’est-à-dire dans l’île même où le roi Béhanzin, vaincu par les Français à la fin du XIXe siècle, fut exilé entre 1894 et 1906.

Outre visiter le fort de Tartenson où le souverain fut emprisonné, Patrice Talon a multiplié les rencontres, annonçant l’ouverture prochaine d’une ligne aérienne directe entre le Bénin et la Martinique, ainsi que la création d’une Maison du Bénin sur l’île. Accompagné de quelques artistes béninois comme Dimitri Fagbohoun, Emo de Medeiros, Roméo Mivekannin, Eliane Aïsso, ainsi que de son ministre de la Culture, Jean-Michel Abimbola, Patrice Talon a insisté sur les liens existant entre le Bénin et la Martinique et la nécessité de les renforcer dans tous les domaines.

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Face aux afrodescendants choqués par la tenue d’une exposition sur un site où furent exploités des esclaves africains, le chef de l’État a délivré un discours d’apaisement. « Notre histoire est commune, a-t-il dit, mais je ne suis pas venu pour remuer le couteau dans une plaie qu’il convient plutôt d’œuvrer à cicatriser. Les polémiques les plus légitimes, les rancœurs les plus légitimes ne doivent pas nous enchaîner au passé, car elles sont des facteurs de sous-développement. »

Jeune Afrique : Vous vous êtes déplacé en Martinique pour le vernissage de l’exposition « Révélation ! Art contemporain du Bénin ». Ce n’est pas fréquent pour un chef d’État…

Patrice Talon : Nous avons initié l’itinérance de nos œuvres afin d’assurer la promotion du Bénin, dans l’idée de révéler au monde entier la richesse de la création béninoise. Nous avons ainsi prévu d’aller au Maroc, en France, aux États-Unis, au Japon, mais aussi de faire étape dans les Caraïbes.

Cette démarche revêt ici un intérêt particulier, car il y a un déficit d’échanges entre l’Afrique et cette autre région du monde qui est, aussi, une partie de l’Afrique. Vous savez que la diaspora africaine est importante en Martinique et dans les Antilles ; vous savez également que beaucoup d’Africains y ont été déportés. De nombreux Martiniquais sont d’origine dahoméenne-béninoise.

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Pourtant, les échanges culturels, touristiques, commerciaux, éducatifs n’existent quasiment pas entre nos régions. Il faut qu’une dynamique se mette en place et il faut l’entretenir. Pour ce faire, nous avons besoin d’un point de départ et tous les prétextes sont bons, toutes les occasions sont bonnes. Comme vous le savez, l’art est le meilleur moyen de rassembler. Que des œuvres d’arts béninoises fassent ce voyage était, pour moi, un excellent prétexte pour construire un pont entre la Martinique et le Bénin. Je crois que cette exposition « Révélation ! » remplit bien cette mission, au regard de ce que j’observe depuis hier. Elle peut nous servir de détonateur.

La restitution des trésors royaux d’Abomey a été a l’origine d’une politique culturelle très active portée par l’État béninois…

Les restitutions ont été un élément clef de l’agenda politique, mais le rayonnement du Bénin et la promotion de tous ses secteurs d’activité, de son génie et de sa créativité font l’objet d’une même attention de la part de l’État.

Depuis 2016, le Bénin fait des efforts dans tous les domaines. Dans celui de l’agriculture, nous avons connu un progrès de plus de 40 % de la production intérieure agricole et le pays est devenu le principal producteur de coton en Afrique. Sur le plan industriel, Cotonou vit un véritable boom. Nous faisons la promotion de l’investissement au Bénin et les résultats sont actuellement très positifs. De même, dans le domaine du tourisme où nous investissons beaucoup pour créer un environnement attractif et développer l’offre touristique. Dans le domaine de l’art et de la culture, qui sont des éléments de l’industrie touristique, cette dynamique est plus visible qu’ailleurs et c’est tant mieux. Mais ce que nous faisons dans les autres domaines est de la même envergure.

Dans le domaine culturel, nombre d’États confient l’initiative au privé – secteur d’où vous venez. Pensez-vous, au contraire, que l’État doive s’engager davantage ?

C’est un secteur qui a plus de fragilités que les autres en matière d’investissements. Dans les pays développés, où la classe moyenne est importante, il y a beaucoup de mécènes et de consommateurs d’art. Mais la consommation de culture vient après la satisfaction des besoins primaires essentiels et, dans un environnement où ces besoins ne sont pas encore satisfaits, on peut observer que l’art a du mal à se développer, à se financer, alors même que c’est un domaine créateur d’emplois et de richesses. C’est pourquoi, dans ce secteur, l’intervention de l’État paraît plus utile dans les pays moins développés que dans les autres secteurs d’activité.

Néanmoins, l’État n’intervient pas seulement dans la culture. Nous sommes actifs aussi dans d’autres domaines, qui sont de plus en plus souvent réservés au secteur privé. Dans les pays développés, l’investissement industriel est du ressort exclusif du secteur privé. Ce n’est pas le cas au Bénin. L’État est redevenu un acteur économique parce que, malgré le potentiel et l’intérêt, l’investissement privé met du temps à venir. L’État peut donc prendre le relais et créer un environnement favorable. C’est pour cela que nous disons aux secteurs économiques qui sont intéressés mais qui hésitent : « Venez, l’État peut être un co-investisseur qui vous accompagnera et vous délestera un peu, de sorte que vous puissiez constater qu’effectivement il y a de l’argent à gagner dans un environnement sain répondant aux standards internationaux, le temps que la dynamique prenne et que l’État se consacre, ensuite, à ses domaines de prédilections. »

L’objectif de ce dynamisme culturel, symbolisé par cette exposition, c’est une manière de promouvoir le Bénin, mais aussi de l’unifier ?

Bien évidemment ! C’est tout à fait cela. Vous savez, les nations africaines sont jeunes. Le Bénin est une mosaïque de royaumes et la République du Bénin – la nation béninoise – demeure en construction. Tous les éléments sont bons pour avancer et parachever l’unité de cette construction nationale en créant un lien fort entre les groupes ethniques et les régions.

Peu d’autres présidents africains s’emparent de la culture pour en faire l’un des fers de lance de leur politique. Comment l’expliquez-vous ?

Je ne peux pas vous répondre. Je pense que d’autres le font, peut-être à leur niveau ou bien de manière moins visible, mais j’espère que cela est une évidence quand on en a les moyens.

Parfois, cependant, les priorités font que l’agenda politique ne donne pas cette chance aux domaines de l’art et de la culture qui peuvent pourtant nous faire connaître plus vite que d’autres secteurs.

Comment vous est venue l’idée d’intégrer la culture comme un élément central de votre agenda politique ?

N’avez-vous pas noté que les plus grosses fortunes mondiales – Elon Musk et les nouvelles technologies, Jeff Bezos et les biens de consommation ordinaires, Bernard Arnault et les produits de luxe – se sont construites autour d’entreprises qui ont trait au bien être des hommes, à la satisfaction de l’esprit et du corps en dehors de ce qui demeure strictement alimentaire ? Ainsi va le monde et, dans les pays dits développés, on consacre de moins en moins de temps au travail, pour en accorder de plus en plus aux plaisirs de l’esprit. Les biens qui nourrissent l’âme sont devenus un élément essentiel de la vie et cela se poursuivra dans ce sens.

Il ne faut pas rester en marge d’un tel mouvement. Que l’on soit pauvre ou riche, on a besoin de nourrir l’esprit pour se sentir bien, on a besoin de s’accorder du temps pour conserver un équilibre. Il ne faut surtout pas banaliser l’intérêt de l’art et de la culture pour garantir le bien-être des hommes. Ce secteur crée de la richesse, de la valeur, de l’emploi. Moi, je souhaite que les artistes béninois rayonnent au Bénin, en Afrique et partout dans le monde, qu’ils gagnent des fortunes pour eux-même, pour leurs familles et pour venir réinvestir dans leur pays. C’est un domaine où il y a de l’argent et nous voulons que nos artistes, talentueux, ne restent pas en marge de ce grand marché.

Votre passion pour la culture est-elle à l’origine de cette démarche ?

Ma passion pour la culture n’a pas été déterminante dans mon action. Si je n’avais eu aucune passion pour l’art, j’aurais fait la même chose. C’est un domaine dans lequel les Béninois peuvent créer de la richesse, de la valeur, de l’emploi, ce qui est valable aussi pour l’industrie ou le commerce. Le gouvernement a simplement identifié les secteurs dans lesquels il faut que l’État investisse pour donner le maximum de chance à notre pays, afin de rattraper notre retard.

Pouvez-vous nous dire comment est née votre passion pour l’art et la culture ?

D’où vient mon intérêt pour l’art ? Je ne peux pas vous répondre. Personne ne sait comment naît une passion. Souvent, c’est inné, cela ne se construit pas. Depuis mon enfance, j’ai toujours été intéressé par l’art et la musique, que j’ai d’ailleurs un peu pratiquée.

En 2024, le Bénin aura pour la première fois un pavillon à la Biennale de Venise. Quel est l’objectif de cette présence ?

Nous révéler ! Nous voulons désormais être de tous les rendez-vous pour montrer notre talent et notre créativité. Pour démontrer que le Bénin, dans ce domaine, est un champion !

Vous avez visité hier le mémorial consacré à l’esclavage, au Cap 110, où un bateau négrier au nom inconnu s’est échoué dans la nuit du 8 au 9 avril 1830. Qu’y avez-vous ressenti ?

On ne peut pas, en tant qu’Africain, aller dans ces lieux et ne pas ressentir quelque chose de très fort, de très perturbant, qui vous met face à une cruelle réalité. Au Cap 110, on apprend l’histoire d’un bateau qui s’est échoué avec des esclaves à son bord. Les survivants de ce navire naufragé, bien qu’étant des humains, ont été traités comme des marchandises. La traite des Noirs était alors abolie, mais l’esclavage ne l’était pas, ici, en Martinique. L’arrivée par la mer d’un navire transportant des esclaves était alors une infraction.

Les autorités n’ayant pas pu déterminer qui était le responsable de cette « cargaison » ni quels étaient les destinataires des « biens humains » transportés, ils ont appliqué le traitement douanier réservé aux marchandises. Ils ont saisi ces personnes et les ont envoyées en dépôt en Guyane. Cela témoigne la façon dont les esclaves, les Noirs étaient traités à l’époque.

Ce trafic, dans tous ses aspects, montre à quel point l’esclavage était une horreur. En ces lieux, on se regarde et on se demande comment l’humanité a pu opérer ainsi et vivre avec un tel état d’esprit. Qu’on exploite d’autres hommes, cela a toujours existé et cela existe toujours. Des personnes continuent d’en exploiter abusivement d’autres, ne les payant pas à la juste mesure de leur effort. Mais la traite des Noirs a atteint une dimension qui a déshumanisé l’humanité.

Vous vous êtes aussi recueilli au fort de Tartenson, où a été détenu le roi Béhanzin de 1894 à 1906, contraint à l’exil par les Français.

J’y suis allé hier et j’ai vu l’endroit où le roi Béhanzin a été détenu. Venir en ces lieux témoins de la chute du roi de Dahomey a été pour moi terrible. J’y ai éprouvé une profonde blessure, une déchirure parce que cela ne représentait pas seulement la détention de mon roi. Sa déportation matérialise la chute du royaume de Dahomey, sa domination et sa conquête. Au-delà de l’histoire, au-delà de ce que l’on a pu lire ici et là, j’ai ressenti ce moment où mon peuple a été conquis, défait, démoli, son roi arrêté, déporté, emprisonné. C’était effrayant comme sentiment et comme frustration.

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Article écrit publié en premier sur JeuneAfrique.Com

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