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Au Bénin, « The Woman King », ode à l’empouvoirement féminin, séduit malgré quelques critiques

Une troupe de guerrières conduite par la générale Nanisca, excellemment interprétée par Violas Davis, vient de surgir des buissons. Dans le combat engagé qui suit contre des hommes du village mahi rétifs à la domination du royaume du Dahomey, alliés à l’État ennemi d’Oyo, Izogie (Lashana Lynch), l’une d’entre elles prend le dessus sur son vis-à-vis. Sans armes, tel un fauve, l’impitoyable amazone porte de ses doigts aux ongles acérés le coup mortel dans les yeux de son adversaire.

La bataille spectaculaire en scène d’ouverture donne le ton d’un film exaltant dans lequel se succèdent, à un rythme effréné, séquences de violence, actions, cascades et explosions. Les combats sont viscéraux. Gorges tranchées, corps empalés et sang giclant sous les coups portés par les épées et sagaies impeccablement maniées par un corps d’élite féminin surentraîné. La production hollywoodienne au budget colossal de 50 millions de dollars tient, sur ce plan, toutes ses promesses.

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Sorti en salle aux États-Unis, le 16 septembre, The Woman King, co-produit par Maria Bello – qui s’est rendue au Bénin en 2015 pour s’imprégner de l’histoire des « Minon » – a engrangé plus de 19 millions de dollars de recettes lors de son premier week-end d’exploitation. Soit 25 % de plus que ce qu’en espéraient les analystes, si l’on en croit le New York Times. Il recueille même la note A+, la plus élevée, dans les sondages de sortie de CinemaScore, une agence américaine qui étudie les audiences de films en salles.

Guerres de conquête

Gina Prince-Bythewood, la réalisatrice afro-américaine de The Old Guard, fiction fantastique, signe peut-être là son meilleur long métrage inspiré de faits historiques. The Woman King raconte en effet l’épopée des Agojié, les redoutables femmes-soldates du royaume du Dahomey (actuel Bénin), qui ont symbolisé la toute puissance militaire de celui-ci entre le 18e et le 19e siècle. La troupe d’élite de l’armée royale s’est notamment distinguée lors des batailles de conquête de royaumes voisins et les guerres coloniales contre les Français.

Extrait du film « The Woman King ». © 2021 CTMG.

Ici, l’intrigue se déroule en 1823 dans un contexte de rivalités et de tensions entre les royaumes du Dahomey et d’Oyo (Nigeria) à l’est, qui, pendant plus d’un siècle, a vassalisé son voisin grâce notamment à une puissante cavalerie. La Miganon (cheffe de l’armée) Nanisca est chargée de former une nouvelle génération de combattantes incarnées par Nawi (Thuso Mbedu) pour mettre fin au joug imposé par le rival nigérian. À cette époque, l’opposition interne à la traite négrière au sein de la cour royale se fait de plus en plus entendre tandis que règne le roi Guézo (1818-1858), dont le personnage facétieux est interprété par John Boyega, acteur britannico-nigérian, connu pour avoir joué le rebelle Finn dans Star Wars.

Si les scènes d’action épiques – comme cela sied à un tout bon blockbuster qui se respecte – dominent le film, la trame mêle également romance, autre trait de cinéma hollywoodien, avec Nawi, éprise d’un Afro-Brésilien. L’histoire fait également appel au sentiment filial, la jeune guerrière se révélant être l’enfant de sa protectrice issue d’un viol…

Accusation d’anachronismes

Malgré les bons points artistiques, The Woman King, ode à l’empouvoirement féminin, a d’abord été accusé d’appropriation culturelle avant d’essuyer un appel au boycott aux États-Unis. La production était accusée d’avoir pris des libertés et multiplié les anachronismes en revisitant l’histoire pour lisser le récit et servir le propos du film. Sèdo Tossou, jeune cinéaste béninois formé à Hollywood, est l’un des premiers à avoir lancé la polémique sur les réseaux sociaux. « J’aspire à ce qu’un jour notre culture soit adaptée à l’écran par nous et d’une manière qui transmette réellement l’authenticité de notre Dahomey », a-t-il écrit sur Twitter en juillet après la diffusion de la bande-annonce.

« L’histoire des amazones, l’histoire de l’esclavage, c’est l’histoire de l’humanité. Le film est réalisé par une Afro-Américaine dont les ancêtres ont été déportés. C’est aussi son histoire. Elle a le droit de la raconter », répond Cornélia Glèlè, qui a travaillé sur le film en aidant les acteurs à parler le fon, l’une des principales langues du Bénin. « Il est absurde de faire passer le royaume du Dahomey, qui s’est enrichi par le commerce des esclaves, pour un État anti-esclavagiste », s’étrangle cependant un cadre du ministère de la Culture du Bénin où l’œuvre n’a, semble-t-il, pas convaincu les autorités. Mais le choix a été fait de ne pas commenter un « sujet sensible ».

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En 1818, le prince Gakpé, devenu Guézo, arrache en effet le pouvoir par la force des armes à son demi-frère Adandozan – qui assure la régence du royaume depuis vingt ans –, grâce à l’aide du riche négrier brésilien Francisco Félix de Souza, dont les affaires sur le comptoir de Ouidah sont menacées par les velléités du souverain déchu de mettre fin à la traite. « Adandozan avait à cœur d’étendre le royaume. Il faisait des conquêtes. Après les guerres, il estimait que les captifs ne devaient pas être vendus, mais servir au développement du pays en faisant de l’agriculture, par exemple, explique le cadre du ministère. Guézo, une fois au pouvoir, a tout naturellement permis à l’homme qui l’a aidé à prendre le pouvoir, de reprendre son commerce de négrier. Il ne pouvait pas s’y opposer. »

Opposition politique à l’esclavage

Cette lecture est nuancée par Leonard Wantchekon, professeur de sciences politiques et économiques à l’université de Princeton aux États-Unis, qui est le consultant historique du film tourné au Cap en Afrique du Sud. « Sous le roi Guézo, le royaume était à la croisée des chemins. Il y avait une forte opposition politique à l’esclavage venant surtout du rang des Agojiés, qui comptaient parmi elles des captifs de guerre », explique celui qui écrit un ouvrage retraçant, grâce à des témoignages, la vie d’une cinquantaine d’amazones – dont son arrière-grand-tante. « Certains historiens occidentaux ont fait croire que le royaume du Dahomey était un état essentiellement esclavagiste. Ce qui n’est pas vrai », objecte l’économiste. Ce dernier évoque les données publiées en 2008 dans le Quarterly Journal of Economics, la revue éditée par l’université d’Harvard, selon lesquelles seulement 457 000 esclaves sur les 16 millions vendus entre 1400 et 1900 auraient quitté les côtes béninoises. Le plus gros contingent ayant été fourni par l’Angola (3,6 millions d’individus), le Ghana (1,6 million) et le Nigéria (1,4 million).

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« Sous Guézo, qui est resté quarante ans au pouvoir, le commerce chute à 33 000 esclaves essentiellement vendus par des entreprises privées associées à des bandes criminelles qui organisaient des rapts et des kidnappings », explique Wantchekon. Le royaume du Dahomey est surtout forcé de suivre la marche de l’histoire, marquée à cette époque par l’essor de mouvements abolitionnistes aux États-Unis et en Europe, notamment en France qui abolit l’esclavage en 1848. Pour compenser l’effondrement à venir du commerce triangulaire, le roi Guézo introduit de nouvelles cultures, comme le palmier à huile dont les semences lui sont ramenées du Brésil.

Accueil mitigé

Pour autant, à Cotonou, où le film est projeté seulement au Canal Olympia (Vivendi), les polémiques n’ont pas émoussé l’envie des cinéphiles béninois. Nombre d’entre eux se sont empressés pour aller suivre les plus de deux heures d’action. « J’ai beaucoup aimé ce film qui bien qu’étant une fiction nous replonge dans l’histoire. Il pousse aussi notre cerveau à essayer d’imaginer à quoi ressemblait vraiment le Dahomey à l’époque, confie un cinéphile. Par contre, en tant que Béninois, je vais probablement me montrer un peu trop exigeant sur l’accent des acteurs, les danses et l’aspect de la ville de Ouidah. »

Si Leonard Wantchekon concède l’ajout d’éléments fictionnels, comme la présence de collines près du port négrier ou le remplacement des danses royales d’Abomey (capitale du royaume) par celles sud-africaines pour répondre à des contraintes techniques de la production soucieuse également de s’adresser à une large audience africaine, l’économiste estime que « les fondements essentiels ainsi que le cadre général du royaume du Dahomey ont été respectés ».

L’Amazone, une nouvelle statue à Cotonou au Bénin. Ici en juillet 2022. © Présidence du Bénin.

Gina Prince-Bythewood fait en outre l’effort de conserver l’architecture-type des palais royaux, ceints de hautes murailles en bauge avec leurs grandes portes ornées de motifs allégoriques. Et les chansons rituelles et cris de guerre en fon parsèment le film. Lequel restitue bien la place prépondérante du culte vaudoun dans la spiritualité dahoméenne. « On peut être fier que notre histoire attire l’attention de Hollywood », ajoute le cinéphile, qui, à l’instar de nombre de Béninois, retrouve dans le casting et la collaboration quelques célébrités nationales dont la diva aux cinq Grammys, Angélique Kidjo, qui a co-signé la bande originale du film.

Tourisme mémoriel

La sortie de The Woman King intervient alors que le Bénin exalte les symboles forts de son patrimoine historique et immatériel. Depuis 2016 sous l’impulsion de Patrice Talon, le pays s’est engagé dans un vaste chantier de développement d’un tourisme mémoriel qui s’appuie sur la mise en valeur des figures historiques des anciens royaumes. Les amazones occupent une place de choix dans cette démarche et font désormais partie depuis 2019 de l’identité visuelle de l’ancien Dahomey pour développer le tourisme.

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À la fin de juillet, une statue géante en bronze de 30 mètres de haut représentant une Agojié debout et fière, munie d’une épée et d’un fusil à canon, a été érigée à Cotonou, en attendant la construction du Musée de l’épopée des amazones et des rois du Dahomey, qui, sans doute, réservera une place de choix à Tassi Hangbé, unique souveraine du royaume (1708-1711) et initiatrice de la troupe des femmes guerrières. « Avec ce film, cette institution qui a été une révolution unique en Afrique au milieu du 19e siècle, entre dans la culture populaire du monde entier. Cela me rend très fier », conclut Leonard Wantchekon.

Article écrit publié en premier sur JeuneAfrique.Com

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