À Jorf Lasfar, le Maroc entre dans la course mondiale aux batteries électriques
Publié le 26 juin 2025 Lecture : 3 minutes.
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Sur la côte atlantique, à l’ombre du complexe portuaire de Jorf Lasfar, une nouvelle ère industrielle s’esquisse au Maroc. Ce 25 juin, Cobco (Core Battery Components) a inauguré sa toute première ligne de production. Une infrastructure de haute technicité, construite sur plus de 230 hectares, entièrement dédiée à la fabrication de matériaux critiques pour batteries lithium-ion. La première de cette ampleur hors d’Asie.
À l’heure où les États redéfinissent leurs dépendances stratégiques et où la décarbonation de l’économie mondiale exige une relocalisation rapide de certaines chaînes industrielles, ce site illustre un basculement majeur : le Maroc ne veut plus se contenter plus d’être une terre d’accueil, il entend devenir acteur. Avec 20 milliards de dirhams (près de 2 milliards de dollars) mobilisés, Cobco va produire deux types de composants chimiques essentiels aux batteries : des précurseurs NMC (Nickel-Manganèse-Cobalt), utilisés dans les cathodes lithium-ion, avec une capacité cible de 120 000 tonnes/an ; et des cathodes LFP (Lithium-Fer-Phosphate), dont la production – 60 000 tonnes/an à terme – doit débuter dans une phase ultérieure.
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Le projet intègre également des maillons clés de l’amont : le raffinage local des métaux critiques et le recyclage de la « black mass », issue des batteries usagées, pour extraire le lithium, le nickel et le cobalt. De quoi fournir, à terme, de quoi équiper jusqu’à un million de véhicules électriques par an.
Eldorado industriel décarboné
Le timing de ce lancement n’est pas anodin. Dès 2026, l’Union européenne (UE) introduira un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, qui pénalisera les productions intensives en émissions. Dans ce contexte, le Maroc fait figure d’eldorado industriel décarboné : électricité verte compétitive, main-d’œuvre qualifiée, accords de libre-échange avec l’UE ou les États-Unis, et proximité logistique avec les marchés européens.
« Cobco n’est pas seulement une usine : c’est un projet de souveraineté industrielle et environnementale », explique un cadre de l’entreprise. Grâce à une alimentation en énergies renouvelables à hauteur de 80 % dès 2025 (100 % visés fin 2026), à l’utilisation d’eau dessalée et à des procédés circulaires (recyclage des eaux industrielles), l’empreinte carbone du site est annoncée comme inférieure à celle des producteurs asiatiques, qui dominent le marché.
Si Cobco est un projet tourné vers l’export, son impact sur le territoire marocain n’est pas anodin. La construction du site a mobilisé plus de 5 000 emplois directs. À terme, ce sont 1 800 emplois qualifiés permanents qui seront créés, ainsi que 1 800 emplois indirects dans la logistique, la sous-traitance, les infrastructures locales et les services. En se positionnant en amont (raffinage, précurseurs), Cobco permet aux industriels aval (cathodes, assemblage de batteries) d’intégrer localement des composants stratégiques. Un atout décisif pour le respect des règles d’origine dans les accords commerciaux et pour l’avenir de l’industrie automobile marocaine, en pleine mutation vers l’électrification.
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Transfert de savoir-faire
Le projet comprend également un vaste programme de transfert de savoir-faire, avec la mise en place de formations spécialisées en lien avec les équipes chinoises de CNGR. Des partenariats sont noués avec des universités et centres de formation marocains pour structurer un vivier national d’expertise dans les technologies des batteries, encore largement inexistant au Maghreb.
Derrière Cobco, une joint-venture à 50/50 entre deux acteurs que la stratégie industrielle réunit. D’un côté, CNGR Advanced Materials, cotée à Shenzhen, le numéro un mondial des précurseurs de cathodes, avec des clients comme Tesla, LG Chem ou Samsung SDI. Actif dans plus de 30 pays, le groupe chinois a fait de la décarbonation et de la décentralisation ses deux nouveaux axes d’expansion. De l’autre, Al Mada, le fonds marocain à vocation panafricaine, qui investit dans les projets structurants ou les infrastructures stratégiques avec une logique de souveraineté et de développement durable. Sa filiale Next Generation Industries (NGI) pilote l’opération de Jorf Lasfar.
Laquelle illustre l’émergence d’un modèle africain de production industrielle propre, à haute valeur ajoutée, et connecté aux marchés mondiaux. À l’image de ce qui a été mis en place dans les domaines de l’hydrogène vert, des câbles sous-marins ou des data centers, le royaume chérifien avance à marche forcée vers une économie post-carbone, technologique, et géopolitiquement stratégique. « Avec Cobco, nous créons une nouvelle norme, résume un représentant d’Al Mada. Nous consolidons notre ambition d’accélérer l’industrialisation verte du continent tout en plaçant le Maroc au cœur de la transition énergétique mondiale ».
Article écrit publié en premier sur JeuneAfrique.Com